Qui sont ceux et celles qui choisissent le conte de Tom Pouce ou Le Petit poucet ? 

Très souvent,  ce sont des personnes qui ont subi des trahisons familiales. Des benjamins ou benjamines ou encore des enfants uniques, ils se ressentent comme les vilains petit canards de leur famille, dans le service de leur entreprise ou dans leur vie. Ces personnes ont eu le sentiment de vivre une enfance chaotique et/ou solitaire et se sont souvent sentis impuissantes.

Le contexte

Le petit poucet est un conte qui a été recueilli par Charles Perrault au 17e siècle (1697). En 1819, les frères Grimm retranscrivent à leur tour, la source originelle (disent-il) qui a déjà beaucoup de succès chez nos amis anglosaxons.

Voilà le résumé du conte de Perrault : Un bûcheron et une bûcheronne ont sept enfants dont un grand  seulement d’un pouce. Une année de sécheresse, le couple veut se défaire des enfants ; le petit Poucet laisse traîner des cailloux blancs et les enfants retrouvent leur chemin. La seconde fois, le petit Poucet laisse des miettes de pains mais les oiseaux les mangent. Les enfants sont perdus dans la forêt et trouvent un maison où demeure un ogre, sa femme et leurs sept filles. L’ogre veut manger les garçons et va dans la chambre pour les égorger mais le petit Poucet a interchangé les bonnets des garçons et les couronnes de filles si bien que l’ogre égorge ses filles. Les enfants s’enfuient. L’ogre part à la recherche des garçons avec des bottes de sept lieux mais trop fatigué s’endort. Le petit Poucet les lui emprunte pour aller voler l’or et l’argent qu’il détient avec sa femme l’ogresse. Mais on dit aussi que le petit Poucet grâce aux bottes de sept lieux a servi le roi comme coursier et est devenu à son aise.

Ce conte traite de la résilience des petits et des faibles face à l’adversité mais particulièrement face au cannibalisme et aux violences intrafamiliales.1

1 La réalité du cannibalisme en Europe, surtout en période de famine et de pénurie, ne saurait être oubliée. Or, la consommation des enfants était effective durant les grandes famines au Moyen Age et XVIe siècle durant les sièges. Entre fantasmes et dévorations : Lecture psychocritique du Petit Poucet de Charles Perrault et de Tom Pouce des Frères Grimm – Clémentine Labarde

 

 

 

On peut retrouver ce profil dans d’autres contes tels que Hansel & Gretel, Cendrillon et Jack le Haricot magique mais ils diffèrent néanmoins.

Le conte de Cendrillon et ses variantes originelles évoque davantage la rivalité avec la belle-mère et la fratrie et par delà une haine entre la défunte mère et la nouvelle ainsi que la résilience des liens d’amour pour se protéger.  Jack et le  Haricot magique a trait au père absent et aux choix de parents de substitution et la manière dont on les transcende.

Il y a une forte ressemblance  de ce conte avec celui d’Hansel & Gretel surtout dans la version  de Charles Perrault : on y retrouve le thème de la ruse, de l’intelligence, de l’avidité, de l’abandon ou la trahison des parents ou de ceux et celles considérés comme tels.

Etre mangé ou manger, voilà deux thèmes omniprésents, les deux faces d’une même médaille. Comment grandir et s’épanouir sans être dévoré par une famille dysfonctionnelle et sans se dévorer soi-même ou du moins être anéanti par ses propres pulsions de colère engendrées par culpabilité ou l’autodestruction ?

Les référents parentaux sont absents, maltraitants ou impuissants, il ne faut donc compter que sur soi mais aussi sur la providence et contrer l’impuissance et l’envie profonde de s’accuser de tous les maux et de continuer à se punir. Être soi, c’est utiliser sa raison et sa tête plutôt que ses (dérangeantes et mauvaises) émotions, voilà l’un des enseignements du conte.

On retrouve l’hypervigilance de Tom Pouce, toujours à l’affut et à l’écoute et sa capacité à utiliser tout ce qu’il peut pour se sortir d’affaire : la ruse, la vitesse, la sagacité qui pallient sa toute petite taille (et donc son impuissance).

Les personnes qui donnent la préférence à ce conte sont donc plutôt agiles, un brin rebelles avec un esprit rapide et une propension à ne pas respecter les règles surtout si elles sont familiales. Car elles ont été le plus souvent utilisées à leur encontre ou dévoyées.

Leur blessure secrète réside dans la trahison, le rejet dont elles ont fait l’objet et parfois l’humiliation.

Peut-on le dire plus clairement ? Oui, il y a souvent des violences sexuelles en plus de la maltraitance verbale et physique  dans le vécu les personnes qui choisissent ce conte. Cependant, elle n’est jamais exprimée ou décrite comme telle par ceux et celles qui l’ont vécu. Il faut donc faire preuve de beaucoup de sensibilité et de doigté pour ne pas l’évoquer à brûle pourpoint  afin de ne pas provoquer un mutisme ou un choc chez la personne qui est suivie ou accompagnée.

Parmi leurs mots-clés, on retrouve souvent : féminin, deuil, puissance, renaissance, vie purification, soin, mort.

Rappelons que l’inceste et les maltraitances sexuelles s’analysent comme des meurtres psychiques : on tue l’enfant en le chosifiant et en le mettant à une place qui ne peut être la sienne. L’inceste ne nait jamais seul, il y a des traditions familiales et un continuum incestuel incestuel qui le rend possible.

 

trahisons familiales

L’histoire de Jeanne. : la crainte d’être dévorée

Voilà une jeune femme qui vient me trouver car elle m’a entendue à la radio alors que j’étais au Québec.
Nous convenons d’un entretien par téléphone. Jeanne est originaire d’un pays d’Afrique centrale : le Cameroun. Depuis toute petite, les filles l’attirent. Ce qui pourrait déjà déstabiliser un enfant en Occident prend une toute autre mesure dans ce pays où l’homosexualité est interdite, c’est une infraction punie de plusieurs années d’emprisonnement. (L’article 347 du Code pénal camerounais érige en infraction les actes sexuels entre personnes de même sexe, crime passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans, ainsi que d’une amende pouvant atteindre 350 dollars US.) On autorise le public à humilier publiquement les personnes homosexuelles, à les tabasser dans la rue et à les martyriser.

Jeanne est prise dans un réseau de loyautés diverses et de colère envers elle-même.

Elle est tombée amoureuse d’une jeune femme au Québec et n’a rien dit à ses parents qui l’ont fiancée dans son pays. Elle est libre de refuser. Mais sa mère a mis toute ses économies pour lui payer des études au Québec. Elle se sent redevable. Elle est une élève brillante mais cette double vie la fatigue, la rend nerveuse et se sentir mal.

Elle demande une séance pour s’écouter plutôt que d’entendre les demi reproches de ses mère et les conseils de ses amies à qui elle n’a pas dit toute la vérité sur sa situation amoureuse. Sans parler de sa relation au Québec avec une jeune femme, d’une ethnie différente de la sienne Comme elle le dit avec une dérision qui fait peine : « homosexuelle, amoureuse d’une blanche, je cherche les histoires » !

L’analyse du Psychoportrait permet de comprendre qu’il une rupture profonde et récente mais aussi des éléments qui me font penser qu’elle pourrait s’automutiler.

Le Psychoportrait révèle davantage encore ce qu’elle ne dit pas en contrepoints : sa mère qui a des doutes et qui veut lui faire des séances de purification avec des matrones, son père absent et qui pèse sur sa vie ou qui semble avoir pesé fortement sans que je ne sache ce qui s’est passé et pourquoi il n’est pas présent. Sa quête de racines.
Ce que dit  également le Psychoportrait, c’est qu’elle veut se détacher de sa mère qui l’étouffe mais qu’elle a peur de la perdre et que le meilleur moyen de le faire c’est sans doute d’avoir une relation qui transgresse les interdits maternels et de se faire mal.

Nous parlons d’abord des possibilités qu’elle peut avoir pour dialoguer avec un professionnel de santé. Sa situation est préoccupante. Elle prendra rendez-vous pour être suivie.

Nous reprenons ensuite nos séances, une fois ce rendez-vous pris. Je lui propose 3 contes :

  • Jack et le haricot magique
  • Le petit poucet
  • Hansel et Gretel

Elle a choisi le petit poucet et au travers le conte, elle réalise et formule sa crainte d’être dévorée par sa mère. Elle réalise le poids du passé de sa mère sur elle. Nous travaillons ensemble le conte durant 4 séances dès mon retour en France.

 

1. Se fixer des (re)pères
2. Retrouver son chemin (son orientation)
3. Identifier son ogre et le feinter (le tout sans se laisser dévorer)
4. Accepter la transformation

 

Il lui faut affronter son ogre tout autant intérieur qu’extérieur avec astuce.

Effectivement, c’est le moment pour elle de vivre par elle-même : elle décide de prendre l’opportunité que lui propose l’université pour donner des cours et ainsi subvenir en bonne partie à ses besoins. Cela lui permet de mettre encore à distances les choix parentaux et surtout de prendre le temps pour un suivi médical.

Elle comprend qu’elle doit passer par différents stades pour continuer de grandir & de mûrir : passer du trou de souris où elle s’enfuit comme le petit poucet à la rumination de la vache (elle prend le temps de réfléchir, de se poser) puis de devenir une bonne mère pour elle-même : accoucher d’elle-même ou renaitre.

En l’occurrence plusieurs étapes pratiques  seront fixées en guise d’objectifs :

• Reprendre contact avec son père par une lettre :

Se fixer des repères, c’est remettre le père dans le jeu familial et sortir d’un duo qui semble un peu mortifère. Qui est-il ? pourquoi a t-il quitter sa mère et surtout  peut-il lui apporter ou non ces repères qui lui manquent. Pourquoi  est-il absent ? Ses parents ne sont pas divorcés mais séparés. Pourtant, à part l’argent qu’il lui envoie de temps à autres, via sa mère, elle n’a plus de contacts avec lui. Il s’avérera que Jeanne est le fruit d’une relation polygamique non reconnue par le mariage coutumier. Elle lui écrira et le verra.

Comprendre les rituels que sa mère veut lui imposer

En retrouvant le chemin et l’histoire de sa mère, Jeanna va très certainement retrouver aussi le sien. Les rituels montrent que sa mère probablement a reproduit sur sa fille des pratiques qui servent de purification qui servent surtout aux enfants ayant été agressés sexuellement. Que rejoue sa mère ?  Pourquoi utiliser de tels rituels alors que sa mère ignore tout de son homosexualité ?  Qu’est-il arrivé à sa mère ? Quelle culpabilité porte t-elle et qu’elle veut faire porter à sa fille ?  Il existe de plus des idées fausses à propos de l’homosexualité sur le continent et dans de nombreuses partie de ce dernier : lire ici

Les pratiques initiatiques souhaitées par  sa mère pour la faire devenir « femme » apte à aller avec un homme m’en disent long sur ce qui est arrivé à sa propre mère.  Qui semble penser que ce qui lui est arrivé rejaillit sur sa fille.  Ces pratiques pouvant s’assimiler d’ailleurs à des agressions sexuelles  ou des viols (introduction de piment ou de plantes dans le vagin) sont utilisées pour purifier les enfants victimes d’agressions sexuelles.  Si elles ne passent pas par ces rituels, alors, elles ne peuvent pas mener une vie de femme « normale ».  Sa mère a t-elle pressenti que sa fille avait des orientations sexuelles vers des personnes du même sexe ?  Sa fille a t-elle été agressée sans que personne n’intervienne ?  Il s’avérera que sa propre mère a été agressée par un oncle  mais c’est tout ce que Jeanne pourra en savoir. Elle n’en dira jamais davantage. Mais elle lui expliquera qu’en tant que sa fille, elle est son seul bien véritable dans la vie.

Travailler sur ses peurs avec un confrère au Québec que je lui conseille pour aller plus loin dans la prise en charge.

Lorsque l’homosexualité apparait comme un crime, il faut bien plus qu’un coaching : il faut une thérapie pour accompagner cette personne en grande souffrance. Il faut l’aider à avoir une meilleure image d’elle même et il m’a semblé indispensable qu’elle puisse avoir un accompagnement ciblé avec un professionnel local, mieux au fait des us et coutumes de la société québécoise mais qui connaisse aussi parfaitement l’ethnie dont elle était issue.  Un ethnopsychiatre donc me semblait être un bon choix : nous avons donc établi une liste des différents thérapeutes susceptibles de l’accompagner.

Jeanne doit  en effet lutter contre une mère « dévorante » tel le petit poucet, elle doit à la fois lutter mais aussi se transformer pour être plus forte et en paix avec elle-même.

• Fréquenter des groupes LGBTQ+

Quand elle se sentira plus stable et plus confiante, parler  au sein d’un groupe d’homosexuelles afro canadiennes qui pourront l’aider dans le chemin vers l’acceptation.  Pour ce faire, elle doit veiller à l’emprise et aux luttes de pouvoir car elle est encore très fragile. Il lui faut de nouveaux vêtements (s’armer)  comme dans le conte pour tirer tout l’enseignement de cet apprentissage qu’elle a fait dans la douleur.

Il aura fallu 4 séances pour enclencher le travail qu’elle fera par la suite.

J’ai eu des nouvelles quelques années plus tard. Elle va aussi bien que possible car elle a du rompre ses liens avec sa mère qui ne tolérait pas son homosexualité. Elle a accepté son orientation sexuelle. Elle enseigne et vit avec son amie.